Tout était baigné dans la brume. Un silence morbide dominait toute la vallée de la Moselle.
Même les corbeaux étaient muets.
Le corps était pendu au pont, c’était un pêcheur qui l’avait découvert à l’aube. Quelle drôle de trouvaille pour commencer la journée. Depuis combien de temps ce corps était suspendu à ce câble ? Difficile à dire. Qui était ce pauvre gars ? Inconnu.
Une drôle d’enquête commençait, sans le nom de la victime, sans le mobile du crime et sans connaître le nom de l’assassin.




Et pourtant le suspect était tout trouvé... depuis plusieurs jours le "borgne" rôdait autour de ce pont et tout le monde semblait savoir que quelque chose allait se passer. C'était inéluctable tellement la tension était électrique. Et voilà, c'était tombé sur ce pêcheur que personne ne connaissait dans le coin.... Cela annonçait-il d'autres victimes ?... Difficile de savoir mais le tout jeune commissaire semblait déjà bien embarrassé avec cette affaire de province...

... Lui qui venait de débarquer il y a moins d'un mois dans ce petit village de 500 habitants, il avait de la peine à se faire à cette ambiance où tout le monde se connaît et chacun a une opinion sur tout ce qui se passe. Dans le bistrot, sur la place centrale, les conversations allaient déjà bon train lorsqu'il s'installa au bar vers huit heures du matin en commandant : "Un café bien serré s'il vous plaît".
La journée allait être longue...

Immédiatement tous les regards se tournèrent vers lui, il les sentait dans son dos et était mal à l'aise. Il commençait juste sa carrière et déjà les enfants, qui avaient été attirés par l’évènement inhabituel pour ce paisible village, l'avaient suivi et s'évertuaient à l'appeler "Commissaire Maigret"...

Il but son café d'une traite et sorti à nouveau. En arrivant sur les lieux du crime il remonta son col, le brouillard rendait l'atmosphère lugubre et le froid traversait son pardessus. Soudain son attention fut attirée par un papier froissé resté accroché au parapet. Un bout de la page d'un vieil annuaire avec trois noms entourés de rouge, pas d'indication de ville. Il le fourra dans sa poche. Il entreprit de fouiller méthodiquement l'endroit.

Trois noms... hum... hum... hum... Monsieur Balurtin le notaire de Vendreche, Madame Tardiche l'épicière de Saint Garpe et un certain Monsieur Feranice que personne dans le village ne semblait connaître... Trois noms entourés de rouge. Voila une histoire qui, pour un le jeune inspecteur PICHARD, fraîchement nommé, tombait à point. Plus vite elle serait résolue, plus vite il serait muté dans son Vaucluse natal. Au deuxième jour, le jeune flic, décida d'axer ces recherches sur ce borgne, qui ne semblait pas étranger à l'affaire, et de se renseigner en toute discrétion sur les trois noms qu'un inconnu lui avait soufflés...

Le médecin légiste arriva sur place et en examinant le corps il remarqua un mince filet de sang à la base du cou.
Il estima que l'homme avait été abattu d'une balle de 9 mm avant d'être pendu au câble.
En poursuivant son pré-examen il estima que l'heure du crime devait se situer entre deux et trois heures du matin.




II

Le lundi qui suivit l'affaire, l’Inspecteur Pichard reçu un étrange courrier dont le cachet était daté du jour de l'assassinat. Le pli contenait une photo représentant de toute évidence un borgne entouré de rouge ainsi qu'une petite feuille provenant d'un bloc de post-it et portant ces mots vraisemblablement écrits à l'aide d'une machine Smith-Corona :" Pichard, y faut que vous sachiez que du pont au bigleux il n'y a qu'une corde"




Voilà un bien étrange message, mais du coup l'enquête commençait à s'éclaircir.

Nous avions un pendu, un borgne fortement suspecté et trois noms.
Après quelques recherches notamment axées sur le voisinage ainsi que sur les archives de la préfecture, Pichard avait réussi à faire le lien entre ces trois noms.

Balurtin Daniel, petit fils de Marcel Balurtin

Tardiche Suzanne, petite fille de Henri Guaino

Feranice Arthur, que l'on surnommait l'africain car il n'était jamais revenu d'un voyage au Togo dans les années 60.

Balurtin, Guaino, Feranice, trois amis d'enfance du suicidé assassiné......
Tel un rubix-cube l'enquête commençait à prendre des couleurs....

Et ces mots retentissaient sans cesse dans la tête du jeune flic "Pichard y faut que vous sachiez que du pont au bigleux il n'y a qu'une corde". Bon sang mais qu'est-ce que cela voulait dire ? Et pourquoi ce pli anonyme avec cette photo. Pichard n'était pas joueur pour un sou.... et il commençait sérieusement à regretter sa ville natale qu'il n'aurait jamais du quitter. On ne devrait jamais s'éloigner de Paname pensait-il... surtout pas pour se retrouver au beau milieu de querelles de voisinage. Mais le temps n'était pas aux regrets et Pichard se dit qu'il fallait sérieusement s'y mettre... Cette affaire ne devait pas passer l'année ! Il fallait interroger les amis d'enfance du suicidé assassiné.... enfin, ceux qui voudraient bien répondre à l'appel. Il porta son choix sur Suzanne Tardiche, la petite fille de Guaino. A ce qu'il avait cru comprendre, au détour d'une discussion de café, elle aimait les hommes. Tout naturellement, Pichard pensa jouer de son pouvoir de séduction afin de lui soutirer quelques informations sur ses liens avec le pendu... et qui sait, peut-être reconnaîtrait-elle le borgne de la photo. « S'agirait d'avoir un peu de chance » grogna Pichard en enfilant sa veste.... « Bon dieu oui.... de la chance ! »

Suzanne TARDICHE n'était pas connue des services de police, au sens classique de l'expression. Cela compliquait un peu mais, de toute façon, nous étions tant dans l'inconnu dans cette affaire.

Elle habitait un très petit village dans la Meuse, à une cinquantaine de kilomètres du lieu où on avait découvert le "suicidé" du pont. Pas question de laisser faire l'interrogatoire par la maréchaussée du chef lieu de canton meusien, Pichard tenait trop à cette affaire, et puis pour fouiller dans le passé, le moindre détail, une vieille lettre, une photo, un mot pouvait donner un lien avec la victime.
La maison tout en profondeur, typiquement lorraine, était pleine de vieux meubles et d'accessoires étranges. Pichard se demandait à quoi ils pouvaient bien servir. Une odeur de poussière mêlée à celle des vieux papiers le marqua dès l'entrée dans la vieille maison.



Voyant la photo d'un jeune gars en uniforme sur le vieux buffet en chêne, Pichard demanda "Votre grand-père était un ancien des colonies ?"
"- Oui, et ça l'a marqué le reste de sa vie. Dien Bien Phu, ça laisse des traces, même à un ancien para !" Mais, il en parlait si peu de cette période mystérieuse".
- Vous avez gardé des documents de cette période de vie de votre grand-père (lettres, journaux, photos...)?
"- Je crois que oui, mais il faudrait que je fouille dans le grenier, il est immense et il y en a pour un sacré moment."
- " Et bien nous avons le temps, je reviendrai avec de l'aide, qu'en pensez-vous ?"
"- D'accord, revenez quand vous voulez, aucun problème."
" - Surtout ne touchez à rien, nous reviendrons dès demain..."



Feranice, Feranice...
Rien, rien de rien, aucune trace, nulle part, les deux jeunes stagiaires que Pichard avait mis sur le coup ne trouvait rien et pourtant la petite blonde était sacrément calée en informatique, elle l'épatait quand il la regardait travailler sur ces écrans, lui le réfractaire à ces nouveaux outils, lui qui en était presque à regretter la vieille Remington que lui avait légué son grand père.
Une enquête se fait aussi au contact des gens du coin, se dit-il. Il prit son imper et sortit sous cette petite pluie fine et glaciale pour aller jusqu'au bistrot en face de l'église, Chez Simone.
Quand il entra, il eu l'impression de revenir 30 ans en arrière, de la sciure étalée sur le carrelage, un vrai zinc et à la table du fond, quatre joueurs de belotte....



III

La fouille chez Suzanne TARDICHE avait permis de retrouver des extraits de journaux évoquant la guerre d'Indochine et le retour des prisonniers longtemps après la bataille de Dien Bien Phu perdue par la dernière armée française coloniale en 1954. Des lettres, des photos de cette période où Henri GUAINO était parachutiste avec ses frères d'armes. Visiblement Suzanne TARDICHE ignorait tout de la vie de son grand-père en Indochine.

Mais quel lien y avait-il avec la victime et surtout avec ce "le Borgne" de la photo ?

De retour au commissariat de Metz, ville de garnison, l'inspecteur PICHARD avait la certitude qu'il fallait fouiller le passé de la victime. Ce mort, avait-il été lui aussi militaire en Indochine, avec GUAINO ?




La nuit était tombée sur Metz quand Pichard rentra. Il n'était pas très frais après les quelques verres bus Chez Simone… Mais il avait maintenant quelques infos sur ce Feranice, un gars débarqué un beau matin dans le village. Il avait travaillé comme commis dans quelques fermes, les joueurs de cartes avait sous entendu une liaison avec la femme d'un notable. Mais ce que tout le monde avait remarqué avant qu'un beau matin il ne disparaisse, c'était ce grand tatouage représentant un parachute et celui plus petit qui dessinait comme une sorte de jonque.
Pichard pensa qu'un petit tour dans le quartier de la gare lui remettrait sans doute les idées en place...

Pichard en avait donc l'intime certitude, Guaino et Feranice étaient des anciens de la coloniale... Il restait Marcel Balurtin, son petit fils Daniel était hospitalisé dans les environs de Paris depuis plusieurs semaines pour un cancer du pancréas. Lui seul pourrait lui confirmer si son grand-père avait lui aussi fait l'Indochine.
En attendant, Pichard se rendit dans le quartier de la gare car il avait reçu un étrange coup de fil dans la matinée l'enjoignant à se rendre sur les voies ferrées de la gare de Metz sur les coups de 22h. Une fois sur les lieux, Pichard reçu un SMS : "Désolé Tartuffe, faudra encore attendre j'ai eu un empêchement et ne pourrai être présent ce soir... Je te recontacte"...
Le brouillard s'épaississait et il se faisait tard, Pichard décida de rentrer à pied histoire de réfléchir aux éléments en sa possession...Il faisait un froid glacial, Pichard sentit un frisson lui parcourir le corps...



IV

L'inspecteur PICHARD avait du mal à avoir les idées claires, comme si le temps brumeux affectait directement son esprit. Il retourna sur le pont où avait été retrouvée la victime. Le pont enjambait également la voie ferrée Nord-Sud, qui longe la Moselle.

Comment identifier ce corps ? Aucun papier n'avait été retrouvé sur la victime, rien, aucun indice précis.

PICHARD se demanda si la lettre anonyme qu'il avait reçue avec la photo pouvait donner une piste pour identifier le mort ?
"- La coloniale, bien sûr !" se dit-il.

Enervé par l'idée qui venait d’avoir, PICHARD fonça dans les services de garnison de la légion parachutiste à Metz dans le but de savoir s'il y avait un ficher avec photo des anciens militaires. Il pourrait ainsi peut-être identifier la victime, et faire avancer l'enquête.




Malgré l'heure tardive, Pichard obtint l'autorisation de fouiller dans les archives de la légion parachutiste Il y passa toute la nuit, éclairé d'une très faible lumière tremblotante ... Les yeux rivés sur des milliers de visages mais sans obtenir le moindre résultat... Il faisait fausse route, du moins il n'employait pas la bonne méthode de toute évidence...
Le lendemain, il parvint à joindre l'Institut Gustave Roussy à Villejuif où il put parler avec Daniel, le petit fils de Marcel Balurtin. Celui-ci lui confirma que son grand père avait bien fait la guerre d'Indochine et avait été blessé durant la campagne de Muong te.
Cette conversation apporta du baume au cœur de Pichard car elle fut doublement positive, d'abord il eut la confirmation que Marcel Balurtin avait lui aussi fait partie de la Coloniale, ensuite cette histoire de traumatisme lui rappela que Feranice et Guaino furent également sérieusement blessés...
Il s'empressa de se rendre chez Suzanne Tardiche qui possédait une photo du dispensaire et de la piaule où fut hospitalisé son grand père... Bingo ! Pichard tenait dans ses mains la photo de quatre hommes emmaillotés dans des bandages de fortune... Il retourna le cliché, au dos était inscrit : "Balurtin, Guaino, Feranice, Blondin 1953".... Le voilà le cadavre... Blondin !



L'inhumation eut lieu dans la semaine. Il restait à présent à Pichard à déterminer qui l'avait mis sur la trace de ces 4 hommes et pourquoi ? Et puis, il se disait : "trouve-le... trouve le borgne !"

Le retour en train vers Metz lui permit de relire ses notes, avec ces quatre noms, il tenait maintenant un bon morceau du puzzle. Nos quatre lascars avaient combattu en Indochine dans les rangs du 1er RCP, basé un temps à Moulins les Metz. Dans le cadre de l'Opération Castor, leur section a sauté sur Dien Bien Phu. Ils y furent blessés tous les quatre.

Le lendemain matin, son café avalé rapidement sur le coin du zinc du bar Le Bon Coin, en face du commissariat, il rejoint son équipe et les charge d'orienter leurs recherches vers les archives de ce 1er RCP.
Vers 11h, Julie, la jeune stagiaire lui apporte, sourire aux lèvres, quelques feuillets. Les archives du régiment lui ont appris que nos quatre individus ont été renvoyés de l'armée après qu'on a découvert que, depuis l'hôpital militaire de Hanoï, ils organisaient un trafic d'alcool avec quelques complicités locales.
Des coupures de presse de l'époque relataient un procès qui connut quelque retentissement à Hanoï. Trois hauts fonctionnaires avaient écopé de peines de prison, nos quatre militaires y avaient échappé grâce à leur conduite exemplaire au combat. Leurs supérieurs les avaient rapatriés en France avant la fin de l'enquête. Il n'avait toutefois pas été possible de mettre la main sur le stock d'alcool et encore moins sur la recette de ce trafic.
Ca y est, il tenait le fil, et si ce meurtre était le résultat d'une vengeance ?
Est-ce que la silhouette du Borgne ne se cachait pas derrière cette vielle histoire ?
Comment allait-il le retrouver ?



V

Le mardi qui suivit l'enterrement de Blondin, Pichard reçu à nouveau un étrange SMS comme la fois où on l'avait convié à la gare avant de lui faire faux bond. Cette fois-ci, le message lui demandait de se rendre au parking du centre Saint Jacques au centre de Metz à 23h... seul bien sûr... C'est ce qu'il fît...


Arrivé sur les lieux 15 minutes en avance, il attendit encore 3/4 d'heure avant qu'une frêle silhouette ne se détache dans le brouillard nocturne qui nappait Metz de ses ténèbres.... S'avança alors vers lui le vieux corps chancelant d'une femme qui devait bien avoir dans les 80 ans.... Voilà bien la dernière chose à laquelle s'attendait Pichard...

La vieille ne le laissa pas en placer une et tint à peu près ce discours...
- « Je viens de la part de celui que vous appelez "le borgne"... il m'a dit de venir vous voir parce que parait-il vous êtes un flic de confiance, moi je vous avouerai que j'ai jamais pu les piffrer les poulets avec ce qu'y m'en ont fait baver ! Bref ! Y m'a dit de vous dire que le coupable c'était pas lui, qu'il était présent... qu'il a tout vu... qu'il a essayé de le défendre l'Blondin mais c'était trop tard... Au début il a voulu aller voir les perdreaux et puis il a pris peur quand il a compris qu'ça sentait le roussi pour lui.... Alors j'vous le dis tout de suite j'vous dirai pas son nom au borgne, vous avez sa photo c'est déjà trop.... y m'a dit de venir vous voir et de vous conseiller de chercher du côté de l'église abbatiale Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz, y m'a dit texto : "Dis à Pichard, la vieille, qu'en 78 on bossait au black pendant la restauration de l'église avec Blondin... et si y cherche bien, les murs lui diront peut-être des drôles de choses...."

Voila j'en sais pas plus, retourne dans ta poulaillerie Pichard tu vas te geler les plumes !"
Et elle partit dans un grand éclat de rire... sa frêle silhouette s'évaporant dans l'ombre de Metz......



Saint-Pierre-aux-Nonnains, mais pourquoi ce lieu si fréquenté par les touristes ? Y avait-il un indice dans cette ancienne église ?
Il fallait y aller et fouiller. Mais comment le faire, sans faire intervenir les archéologues et les Monuments de France car, bien sûr, le lieu est classé monument historique.
"Tu parles ! La plus vieille église de France, on ne peut pas la retourner comme cela !" Se dit PICHARD.
"- Et trouver quoi ? Là-bas ?"

Coup de chance, l'INRAP (Institut Nationale de Recherches Archéologiques Préventives) a un important établissement à Metz, Rue de Méric, ils avaient déjà bossé avec la PJ dans une sinistre affaire de nécrophiles, il y a pas mal d'années.



Leurs fouilles avaient permis de retrouver les traces ADN d'un violeur de tombes, un gars complètement dingue qui disait vérifier si les êtres humains étaient éternels. On l'avait coffré grâce à des traces d’ADN laissées sur le lieu d'un saccage de tombes dans le cimetière de Chambière, un cimetière aux abords de la ville méconnu de la plupart des messins.



Il était vraiment temps qu'il se pose un peu pour faire le point, car il avait l'impression que cette enquête partait dans tous les sens... Mais son sixième sens lui disait qu'il fallait toujours attendre le bon moment, laisser le temps au temps comme avait dit un célèbre Président avant lui...
Le Borgne tournait trop autour de lui, il finirait bien par se découvrir.
Pendant que ses deux stagiaires fouillaient de fond en comble l'église, il relut notes et dossiers sur la période indochinoise des quatre hommes. Quelle zone d'ombre l'empêchait encore d'y voir clair dans ce dossier ?
Au bout d'un moment, il appela l'architecte des monuments de France qui avait conduit la réfection de l'église pour connaître les entrepreneurs intervenus sur ce chantier, au cas où!!




VI

Pichard était taciturne, on ne lui connaissait pas de liaison avouée si ce n'est certains soirs avec la dive bouteille, mais seulement quand il se retrouvait dans une impasse complète dans une enquête.
Mais ce n'était pas non plus un moine guerrier de la Justice. Il avait depuis longtemps une passion pour la mécanique qu'il assouvissait en ce moment en roulant dans une vieille traction trouvés au fond d'une cour de ferme, où elle servait principalement de poulailler. L'analogie l'avait sans doute amusé. Il avait passé des heures à la retaper, à lui redonner son lustre d'antan. Mais c'était devenu aussi pour lui une manière de faire le vide pour pouvoir se concentrer sur son enquête. Quand il prit sa traction ce matin pour retourner sur les lieux du crime, le soleil avait chassé la brume, et il revit le village sous un autre jour, et surtout ce "Borgne" lui semblait de plus en plus proche...




En voyant le village sous le soleil, PICHARD pensa à son village natal dans le Vaucluse. Après l'école nationale de police, le poste qu'il obtint avec rang de classement plutôt moyen fut la PJ au commissariat central de Metz. Pour ce méridional, c'était une véritable punition. Heureusement qu'il y avait la mécanique de la vieille traction.
Et si le coup de SAINT-PIERRE-AUX-NONNAINS était une fausse piste destinée à l'embrouiller ? Pourquoi fouiller, et refouiller l'ancienne église, alors que ses recherches autour du passé militaire colonial lui avaient appris beaucoup en peu de temps.

Et puis, ce borgne, existe-t-il vraiment ? BLONDIN, GUAINO et les autres. C'était certainement dans cette ancienne équipe de trafiquants d'alcool qu'il fallait creuser.

PICHARD pensa aux vieux accessoires mystérieux vus dans la maison de Suzanne TARDICHE, la petite fille de GUAINO. Qu'est-ce que cela pouvait être ? Il avait oublié de le demander à l'occupante actuelle.

Il retourna dans le village où logeait Suzanne TARDICHE pour l'interroger.



"- Mais, je croyais que saviez ce que c'était Monsieur l'inspecteur, ici en Lorraine, tout le monde connaît le système des alambics !"
"- Les alambics ? Qu'est-ce que c'est ?"
"- C'est ce qui permet de distiller les mirabelles pour en faire de l'eau de vie."
PICHARD, l'homme du pays des vignes du Vaucluse n'avait jamais vu un alambic distiller l'alcool de mirabelles.
"Trafiquants d'alcool au VIETNAM, alambics en Lorraine, il doit y avoir un lien !" Se dit PICHARD.
En creusant le passé de GUAINO avec Suzanne TARDICHE, il apprit que ce dernier exerçait une activité très lucrative de distillateur d'eau de vie. Il exerçait cette activité en toute clandestinité et ne payait aucune taxe obligatoire.
"Et si on n'était à nouveau en présence d'un autre très juteux trafic d'alcool ?" Pensa PICHARD.

Pichard était presque convaincu que la vieille lui avait raconté des craques... pourtant elle lui avait fait une bonne impression et il restait convaincu que le borgne n'était pas aussi coupable qu’on le pensait dans le canton... Ça avait toujours été son problème à Pichard, difficile de charger celui que tout accuse...
Et puis décidemment, il ne parvenait pas à faire le lien entre un passé vieux de plusieurs dizaines d'années et ce meurtre fauchant la vie de celui qui n'était plus qu'un vieillard...
"Blondin pourquoi qu't'es pas crevé dans un lit d'hôpital comme tout le monde...!"....
C'était ce coup de blues récurrent... qui venait le tirer par la poche lorsqu'une affaire se faisait plus compliquée que prévu...
En sortant de chez Suzanne Tardiche, Pichard regarda le ciel et fila tout droit s'adonner à son loisir préféré qui lui rappelait tant son sud rêvé... un après-midi sans penser à l'affaire se dit-il.... et demain j'm'y remets !





VII


Le lendemain, PICHARD retrouva sur son bureau un rapport donnant le résultat des recherches faites à la fois par l'INRAP et les policiers de son service dans l'ancienne église SAINT-PIERRE-AUX-NONNAINS. Comme il l'avait pressenti, rien. La vieille folle du parking St Jacques le menait en bateau. Dans quel but ? Dissimuler le vrai coupable ? S'amuser, comme le font trop souvent ces déséquilibrés qui lisent la presse régionale en se délectant de faits divers malsains mis en "une" de la page Région, genre rubriques nauséabondes des Cours d'Assises.



PICHARD n'a jamais compris pourquoi tant de gens, désœuvrés, lisent avec tant d'intérêt les récits, finalement dérisoires et sinistres, des affaires qui bruissent dans la grande salle de la Cour d'Assises de Metz. Pourquoi le sordide arrête-t-il autant de monde ? Bébés congelés, cadavres découverts dans une cave, l'horreur, l'horreur, L'HORREUR !

Dans sa courte carrière de flic à la PJ, PICHARD avait déjà donné suffisamment dans le sordide. Personne ne voulait décrocher le cadavre du pont, c'est lui, le jeune gars du Vaucluse, perdu en Moselle, qui a dû tirer sur le câble. C'est lui encore qui, une autre fois, a ramassé les mains gantées, les morceaux de la tête d'un pauvre gars qui s'était flingué avec un fusil de chasse contre la tempe. L'horreur. L'HORREUR ! A chaque fois qu'il voyait un cadavre, il lui était impossible de dormir la nuit suivante. L'image du mort lui revenait à l'esprit, répétée comme l'écho de sa journée, jusqu'à ce qu'il rouvre les yeux pour fixer la lampe nue accrochée au plafond de sa chambre en rallumant la lumière, le souffle coupé et tout en sueur.



En retrouvant les restes calcinés du grand hangar où GUAINO distillait en cachette l'eau de vie de mirabelles, PICHARD se dit que le trafic d'alcool devait se faire à très grande échelle, avec la participation de plusieurs complices. Il ne restait que les éléments métalliques du bâtiment, comme le squelette d'un monstre géant carbonisé.

Pichard sortit de son coffre une paire de gants et des pochettes plastiques pour les pièces à conviction. Toutes ces nouvelles consignes avaient le don de l'énerver. Il n'était pas très ancien dans la police, mais se prenait de temps en temps à regretter que la police scientifique prenne de plus en plus de place dans l’enquête.
Il entreprit une fouille méticuleuse des ruines. Au bout d'un quart d'heure, il trouva deux douilles de 9mm. Il se surprit à penser que s’étaient déroulées dans ce lieu des activités moins "innocentes" que celles de bouilleurs de cru. Il poursuivit sa fouille avec encore plus d'ardeur et finit par arriver près des restes de ce qui avait dû être un bureau. Quelques planches calcinées, un bureau métallique tout de guingois, quelques cartons à demi brulés et des bouteilles vides...
Il n'y trouva rien de particulier. En revenant dans l'entrepôt, il remarqua d'épaisses planches de bois qui recouvraient sûrement une ancienne fosse à vidange. Il connaissait bien ce genre d'endroit pour y avoir passé quelque heures lorsqu'il réparait sa traction .
Il souleva les planches. L'eau stagnante dans le fond de la fosse lui renvoya un reflet bizarre....

Pichard s'agenouilla et, à l'aide d'une longue perche à laquelle il avait fixé une vieille toile de bure, il parvint à remonter un objet brillant situé dans la partie la plus basse de la fosse. Après l'avoir délicatement essuyé avec un chiffon, il constata qu'il avait dans les mains un revolver... à y regarder de plus près. Pichard en conclut qu'il ne connaissait pas ce modèle et décida dans la foulée de se rendre au commissariat de Metz afin de faire expertiser cette trouvaille...
Le service balistique qui dépendait de Braveulle, un ami de longue date, rendit son rapport très rapidement :

-Affaire 15FT003 pièce à conviction numéro 12 - Revolver d'ordonnance 1892 - dim: 234x155x39mm, poids: 840g, canon: 117mm, calibre: 8mm 1892, capacité: 6 coups, système: à barillet tombant à droite avec extracteur collectif, platine à double action. L'armée française utilisa cette arme jusqu'à la guerre d'Indochine, puis la gendarmerie en fut dotée jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie. Cette arme fut produite à environ 385 000 exemplaires. Il est impossible en l'état de préciser si cette arme de poing a servi récemment.

A la lecture du rapport, Pichard fût partiellement déçu car ce revolver après tout n'apportait rien de très intéressant... En effet, rien d'étonnant à ce qu'un ancien de la coloniale ait gardé en souvenir son arme de service... En revanche, le fait de l'avoir trouvée dans une fosse de vidange l'intriguait un peu plus... ne l'avait on pas jetée au fond afin de la dissimuler ? Et si c'était le cas, pour quelles raisons ?

Cette histoire décidemment commençait à ressembler à cette fosse de vidange... poisseuse et menaçante...


VIII

Depuis le matin, une bonne vieille migraine lui barrait le crâne ! Il réfléchissait aux derniers événements qui avaient marqué l'affaire puis, à force de retranchements, il pensa à quelque chose..... Aussitôt, il appela Suzane Tardiche:

- Madame Tardiche, c'est Pichard au bout du fil... Pouvez-vous me rappeler comment est décédé votre grand-père ?

- Papi ? Oh c'est une triste histoire !... Figurez-vous qu'il s'est noyé dans l'egressin du côté de Toul... par un beau matin, si c'est pas malheureux....

- ....

- Commissaire Pichard vous êtes toujours là ?

- Oui pardon... merci encore Madame Tardiche.



Avez-vous déjà ressentit une excitation telle qu'elle vous en ferait perdre la raison ? C'est à peu près l'état dans lequel se trouva Pichard au moment de raccrocher... Pour en avoir le cœur net, il appela ensuite le fils Balurtin qui lui apprit que son grand-père était mort il y a 4 ans en allant chercher du pain, percuté par un poids lourd qui avait pris la fuite....
Cela ne faisait plus aucun doute pour Pichard, Blondin n'était pas le premier... probablement qu'il faisait partie de cette liste d'hommes tombés de mort violente, tous appartenant au même groupe, ayant fait ensemble la guerre d'Indochine, blessés durant la même période et hospitalisés au même endroit, ayant prospéré sur des tombereaux de caisses d'alcool, arrêtés et renvoyés en France, et qui de toute évidence avait bien plus de choses à cacher que ce que cette histoire pouvait laisser présager à ses débuts...
Il restait ce Feranice, mais impossible à prouver que lui aussi était mort puisque personne ne l'avait vu depuis son départ en Afrique....

Voilà donc que l'affaire prenait une tournure terrifiante...Pichard avait conscience qu'il venait de troquer un seul et unique macchabée contre probablement quatre....
Avant de rentrer chez lui, alors que la nuit était tombée, il décida de faire un tour dans les rues sombres de Metz, les mains dans les poches, le regard rivé sur les flaques visqueuses. Il songea tout à coup que c'était son anniversaire... "Happy birthday Pichard..." pensa t'il un sourire au coin des lèvres.

Cela faisait de FERANICE un suspect potentiel qui, voulant peut-être régler ses comptes avec ses complices, les aurait fait disparaître un à un, BLONDIN n'étant que le dernier de la série.
Mais personne n'avait la trace de FERANICE. Etait-il encore en vie ? Avait-il réussi à changer d'identité ? Ou n'était-il jamais revenu en France ?
L'examen du fichier des visas permit facilement de répondre à la dernière question : rien. Aucun aller-retour entre un pays d'Afrique et la France ces dernières années sous l'état-civil de FERANICE.
PICHARD pensait que FERANICE avait changé de nom. Mais comment le savoir, et surtout comment le retrouver ?
PICHARD se résolut à aller voir ses collègues du GIR (Groupements d'Intervention Régionaux), un service qui rassemble policiers, gendarmes, agents du fisc et douaniers. L'accès à leurs fichiers pourrait aider à retrouver ce FERANICE.


IX

Le fichier du fisc sur les propriétés bâties donna une adresse dans la ville de Nancy, dans le quartier chic du Saurupt. Mais la déclaration de revenu de l'occupant actuel ne permettait pas de retrouver le nom de FERANICE. Ce nom n'était que celui du nu-propriétaire, la maison étant en usufruit au nom d'une dame de 68 ans, Nelly GRANDJEAN.




La maison, visiblement de quelqu'un qui avait fait fortune, semblait bizarre avec ses volets toujours fermés. D'apparence bourgeoise, elle était en mauvais état. La façade se dégradait à vue d'œil. Dans ce quartier huppé de Nancy, manifestement, la grande maison dénotait par son mauvais état.
PICHARD sonna. Une dame, très élégante, lui ouvrit la porte.

"- Bonjour, Inspecteur PICHARD, de la police judiciaire, puis-je vous poser quelques questions s'il vous plaît ?".
"Bien-sûr, entrez je vous prie."

L'intérieur, rempli de meubles et d'objets "Art Nouveau" donnait une nette impression de luxe et d'aisance. On entendait régulièrement le chant d'un oiseau enfermé dans une très belle cage ancienne placée dans la véranda. Deux chats noirs étaient endormis chacun sur un fauteuil.
Nelly GRANDJEAN déclara qu'elle avait bien connu FERANICE. Elle avait même été sa maîtresse à son retour d'Indochine. Mais depuis quatre ans, elle ne l'avait pas revu. Il lui avait donné en usufruit la maison de Nancy, avant de disparaître brutalement de sa vie sans explication. Elle ignorait où il habitait maintenant.


Pichard avait mis son équipe sur le coup, sans relâche, ils avaient fouillé dans tous les coins, mais aucune trace de Feranice, pas le moindre indice qui permit de lui mettre la main dessus. Il décida donc que le meilleur moyen de le retrouver était de le provoquer pour essayer de le débusquer. Il convoqua un journaliste local à qui, en échange de petits services, il avait à deux reprises lâché des informations de première main, permettant à son journal de griller la concurrence sur des enquêtes sensibles.
En contrepartie de la primeur d'infos sur cette affaire, le journaliste accepta de passer l'article que Pichard avait rédigé et maintenant, il ne restait plus qu'à attendre pour voir si le piège allait fonctionner.
Deux jours plus tard, le téléphone sonnait :
- Inspecteur Pichard, bonjour
- Bonjour inspecteur, ici Feranice....


X


- Feranice ? J'attendais votre coup de fil.... Au fait dois-je vous appeler Feranice ou "Le Borgne" ?

- Tu es un malin Pichard mais pas assez pour comprendre que tu fais fausse route... tu te comportes comme un chien qui aurait pas tiré sa crampe et qui se baladerait truffe au vent...

Pichard repensa au stratagème dont il avait usé pour forcer Feranice à sortir de sa réserve, pour cela il avait suivit un précepte inculqué par son père lors des parties de pêches de son enfance. Lorsque le goujon est plaqué au sol, rien ne sert de regarder indéfiniment son immobile bouchon... il suffit juste de bouger la vase en tous sens... Il avait donc fait paraître dans "La Lorraine libre" un article relatant une partie conséquente de l'affaire en précisant que la police semblait sur le point de pincer ce terrible borgne... et le goujon venait de mordre...



- Alors il va falloir essayer de me convaincre Feranice ! Parce que jusqu'à présent le borgne que vous êtes semble être le coupable idéal...

- Bien-sûr ! Mais c'est trop facile... Quand j'ai lu dans le torchon lorrain que les pandores allaient me mettre le grappin dessus... j'me suis dis qu'y fallait que j't appelle...
Ecoute moi Pichard la veille que Blondin se fasse dessouder y m'avait passé un coup de fil pour me donner rendez-vous là où on l'a retrouvé raide... il était effrayé et arrêtait pas de m'dire qu'on était les prochains sur la liste... Blondin ça faisait des années que j'l'avais pas vu alors pardi j'me méfiais de c'qui causait... y paraissait complètement possédé !
J'ai quand même accepté le rendez-vous... un ami même quand ça devient fou, ça reste un ami... Le problème c'est que quand je suis arrivé sous ce maudit pont, le Blondin il était pas tout seul... et puis il était en fâcheuse position, à genou de dos avec un homme derrière le pétard braqué sur lui. Tu me croiras peut-être pas Pichard, mais sans que j'ai eu le temps d'intervenir il s'est pris une bastos en plein cou... Ca m'a foutu un coup ! Et puis le type y devait pas douter que Blondin il avait rendez vous, car il a pris tout son temps pour le pendre au pont... C'est lorsque le pêcheur est arrivé qu'il a pris ses jambes à sa gueule... il a filé à bord d'une camionnette beige à tout berzingue sur le pont... et voilà... moi aussi je me suis tiré mais semble t'il pas assez vite parce que le lendemain on parlait déjà de moi dans le journal... Après c'est vrai que j'ai essayé d'égarer les poulets du côté de Saint-Pierre-aux-Nonnains, mais pas de quoi fouetter une chatte ! Pas vrai Pichard ?

- Et cette histoire de trafic d'alcool ?

- Des broutilles ! Arrêtez de vous palucher avec quelques boutanches ! En 1953 quand on s'est pris l'obus sur le râble en Indochine... moi au passage j'y ai laissé un œil... on s'est retrouvé tous les quatre dans la même chambrée avec Guaino, Balurtin et Blondin alors on s'est occupé comme on a pu ! J'ai lu dans le journal, que les gens parlent d'un soi-disant magot !! Mais faut arrêter ! Y'a pas d'magot... Après ce que les autres ont fait au retour d'Indochine… Ça je n'sais pas... Mais pour ma gueule que dalle ! Alors Pichard commence à y voir clair parce que le prochain sur la liste c'est moi ! T'entends ! Et je ne me l'explique pas !.......clic..............

Il venait de raccrocher.... Pichard se mis les mains sur les tempes, une migraine violente l'empêcha de réfléchir...

"Pas de quoi fouetter une chatte" se répéta PICHARD. "Une chatte". Soudain, il pensa à Nelly GRANDJEAN, et aux deux chats qu'il avait vus se prélasser dans la maison du parc de Saurupt à Nancy. Peut-être que Nelly GRANDJEAN lui avait raconté des bobards, peut-être était-elle en contact avec lui ? Et si un de ces deux chats étaient à FERANICE ? L'idée que FERANICE adoraient les chats lui traversa l'esprit. Pourquoi ne pas aller voir si les chats étaient tatoués ? En consultant le fichier de la SPA (Société Protectrice des Animaux), il aurait peut-être l'adresse cachée de FERANICE-Le-Borgne.
Il n'eut aucun mal à obtenir du juge d'instruction une autorisation pour se rendre à nouveau chez Nelly GRANDJEAN pour aller regarder de près les chats, même si cette dernière ne l'avait pas voulu.
5554-786 et 3476-665, ces deux séries de numéros relevées et présentés dans le fichier de la SPA donnaient Nelly GRANJEAN et Arthur FERANICE tous deux à Nancy, mais pour FERANICE, une nouvelle adresse apparaissait dans une rue qui longe le canal. Il restait à aller le cueillir avec du renfort pour entamer ensuite une audition qui aboutira très certainement sur...au moins une garde à vue.



Lorsque Pichard accompagné d'une escouade de policiers se présentât à l'adresse qu'il venait de découvrir, personne de répondit. Après avoir insisté, il fit ouvrir la porte par un serrurier. Manifestement, l'habitant des lieux n’avait quitté cet appartement que peu de temps avant l'arrivée des policiers. Réunissant son équipe, il leur demanda une fouille méthodique de l'appartement, puis appela le central afin d'aller cueillir Nelly Grandjean chez elle et la conduire au commissariat où Pichard souhaitait l'entendre sur son rôle dans la nouvelle disparition du Borgne.
Pichard repartit de l'appartement deux heures plus tard avec quatre classeurs contenant des coupures de presse et autres papiers ayant semble-t-il un lien avec cette affaire.
Au commissariat, il se rendit directement dans la salle d'interrogatoire. L'inspecteur Roberval, qui avait pris Nelly Grandjean en charge à son arrivée, lui signala qu'elle affirmait ne pas comprendre pour quoi elle avait été amenée au commissariat et niait avoir parlé avec Feranice au cours des dernières heures.
Pichard réfléchit pendant une petite dizaine de minutes à la façon dont il allait conduire cet entretien, puis poussa la porte et entra...


XI


La garde à vue de Nelly GRANJEAN commença par les éléments de procédure habituels, qui, s’ils sont obligatoires et très formels, ne sont jamais sans impressionner les intéressés.




« Madame GRANDJEAN, je vous prie d’ôter tous les vêtements et objets que vous avez sur vous » exigea la policière, seule femme de la PJ présente ce matin-là au commissariat.
Nelly GRANDJEAN s’exécuta, elle sentait déjà qu’elle avait mal au ventre, comme si elle devait passer un examen au lycée ou au collège.
« Veuillez également ôter vos lunettes ! »
Quelques minutes plus tard, Nelly GRANDJEAN était nue dans une cellule au commissariat. Elle avait froid et ne voyait plus grand chose sans ses lunettes. Elle attendit là, enfermée, sans savoir depuis combien de temps, n’ayant plus de montre. Sa fouille au corps terminée, elle eut le droit de remettre ses vêtements mais sans ceinture, lacets ni soutien-gorge.
Cette situation inédite lui rappela les moments difficiles vécus à l’hôpital, quand elle avait été opérée il y a quelques années. Le médecin qui l’examina avant le commencement de l’interrogatoire ne releva rien de particulier.

PICHARD commença les questions :
« Vos nom, prénom, adresse et qualité ? »
« - Nelly GRANDJEAN, Parc du Saurupt à Nancy, retraitée »

« Connaissez-vous Monsieur Arthur FERANICE ? »
« - Oui, depuis longtemps, nous avons été très proches l’un de l’autre pendant longtemps. Mais je ne le vois plus depuis quelques mois. »

« Alors, pourquoi sur votre portable, son numéro apparaît dans la liste de vos appels ? »
Elle ne s’attendait pas à une telle question qui la plongea dans l’embarras. Elle hésitait avant de répondre.
« - Euh, j’ai essayé de le prévenir de votre visite à mon domicile, mais je n’ai eu que sa messagerie ».

« - L’appel est antérieur à celle de ma visite, vous mentez ! »

Nelly GRANDJEAN commença à transpirer, elle avait chaud, son cœur battait fort. Puis, elle se mit à pleurer.

Quelques minutes plus tard, PICHARD savait par NELLY GRANDJEAN, décidée à ne plus mentir, qu’elle avait toujours été en contact avec FERANICE. Il s’était caché dès qu’il avait su la mort violente de son ancien associé, BLONDIN, craignant de passer pour le coupable après leur dispute au sujet du trafic d’alcool de mirabelles. PICHARD n’eut pas de mal à connaître l’adresse de la chambre d’hôtel à Nancy où logeait FERANICE sous un pseudonyme.

Pour PICHARD, la fin de l’enquête s’approchait, il ne restait plus cette fois-ci, qu'à aller chercher le suspect numéro 1 dans cette affaire : FERANICE – LE BORGNE. Son interrogatoire confirmera sans doute sa culpabilité.


XII


Feranice logeait donc sous le nom d'Alcide Bava au 41 rue Raymond Poincaré, à l'hôtel Akena... Pichard aurait pu privilégier l'arrivée en fanfare avec toute la compagnie en renfort mais il préféra suivre son instinct de loup solitaire....

Au volant de sa voiture, il repensait à l'affaire et songeait à sa visite des entrepôts incendiés et aux deux douilles trouvées. Il se demanda pourquoi il n'avait pas fait le rapprochement plus tôt avec la blessure mortelle de Blondin... Du 9mm dans les deux cas... Voilà bien un élément troublant qu'il n'aurait pas dû ignorer... peut-être qu'après cette affaire il sera temps de rempiler, après tout il se voyait bien acheter une maison perdue au fond des bois et vivre là, bien peinard... seul mais peinard...




En attendant, le voilà parti à la rencontre de ce Feranice, il était d'ailleurs satisfait de rencontrer enfin ce borgne qu'il pistait depuis le début de l'affaire... "Feranice" se dit-il... "Feranice, cette fois-ci je te tiens"...
Pichard arriva sur les coups de 15 heures devant l'hôtel et alors qu'il s'apprêtait à sortir de son véhicule, il vit un vieil homme surgir de l'établissement.... Sans l'ombre d'un doute Pichard reconnu le borgne de la photo... Feranice avait blanchi mais il avait toujours cette drôle de gueule...
Il fallut que Pichard prenne une décision rapidement, ou il appréhendait le suspect à l'instant afin de commencer la garde à vue dans les plus brefs délais comme beaucoup le souhaitaient au poste... ou alors il débutait une filature en bonne et due forme...
Sa décision fut prise en un quart de seconde... l'instinct du loup...
Pichard privilégia une filature serrée afin de passer rapidement les menottes aux poignets du vieux si les choses se mettaient à tourner au vinaigre...
Feranice bifurqua sur la droite rue Piroux et s'engouffra dans un train en direction du CHU de Brabois...
Pichard s'installa sur un siège un peu en retrait en lisant un journal et, ne quittant pas Feranice des yeux, marmonna tout bas... : "t'as pas l'air inquiet pour quelqu'un qui est poursuivi maudit borgne.... cours donc mon joli lièvre... cours donc...."

Feranice descendit rapidement du train. Etonnant pour un homme de son âge, pensa Pichard. Il prit l'avenue de Bourgogne et tourna dans la rue du Morvan. Il marchait vite d'une démarche encore souple malgré sa corpulence.

Feranice passa le poste de garde et se dirigea dans l'hôpital comme quelqu'un connaissant parfaitement les lieux. A quelques mètres derrière lui, Pichard essayait de se repérer. Feranice entra, de son pas toujours décidé, dans le service de pneumologie. A aucun moment, il ne s'était retourné. Il ne se sent pas suivi, je peux donc lui laisser quelques secondes de plus, pensa Pichard. Je pourrais peut-être surprendre une conversation déjà engagée.

Quand il pénétra à son tour dans le service, le couloir était vide. Au bureau, l'infirmière de garde lui dit n'avoir remarqué personne. Un doute l'assaillit...
Il courut presque vers les premières chambres, ouvrit les portes à la volée, l'infirmière sur ses basques, mais au bout du couloir il dû se rendre à l'évidence, Feranice s'était à nouveau envolé.

En jetant un coup d'œil par la fenêtre, il vit une 306 grise démarrer dans la rue du Vivarais et un bras sorti de la voiture s'agitait comme pour un au revoir....

C'était la deuxième fois que LE BORGNE lui glissait entre les doigts, et cette fois-ci, PICHARD était hors de lui. L'envie de se venger, d'avoir le dernier mot, lui vînt à l'esprit. Il détenait en garde à vue la compagne de FERANICE, Nelly GRANDJEAN, "elle ne sortira pas avant un moment, garde à vue et préventive derrière, cela lui apprendra !" se dit PICHARD très énervé.



De retour à Metz, PICHARD n'était pas satisfait. Sa mauvaise humeur allait éclater contre une femme qui, peut-être, était totalement extérieure à ce crime. Son seul délit était d'être la poule de l'autre, du BORGNE. Cette idée finalement le retînt d'agir. PICHARD alla descendre un grand verre de bière AMOS, la bière de Metz, au Bar Central pour tenter de se calmer et en étant sûr de ne pas croiser de collègues


XIII


L’esprit embrouillé par les nombreuses pintes bues au Bar central, PICHARD traversa le Pont AMOS dans le froid et les courants d'air.



Il vivait très mal cette nouvelle déconvenue. Il craignait par dessus tout que le Courrier Mosellan ne s’intéresse à l’affaire pour le démolir dans ses colonnes en apprenant l’échappée de FERANICE. Il avait aussi peur de ses supérieurs hiérarchiques, lui qui était sorti de l’école nationale de police avec un classement très moyen, il n’a pas pu intégrer les filières prestigieuses de la police. En arrivant dans le service, tout le monde avait remarqué son manque d’assurance et d’initiative. Discret voire silencieux, il ne s’était fait aucun ami depuis son arrivée dans le service.

Il repensa à toutes les mauvaises surprises de cette affaire. Il y eut d’abord cette vieille folle du parking Saint-Jacques donnant une piste ridicule avec la fouille archéologique par l’INRAP dans l’église SAINT-PIERRE-AUX-NONNAINS, puis l’impossibilité de mettre une première fois la main sur FERANICE, absent de son logement, et maintenant, cette deuxième échappée de FERANICE sous son nez, alors qu’il était sur le point de lui mettre la main dessus. Cela faisait beaucoup.




PICHARD ne voulait plus prendre de risques. Plus question de mettre des moyens importants pour cette enquête. Il songea à organiser une filature de Nelly GRANJEAN qui aurait peut-être directement conduit à FERANICE. Mais il fallait mettre en marche toute une équipe et surtout devoir justifier son plantage à Nancy en voulant arrêter LE BORGNE.

Il se souvînt que la voiture grise conduite par PICHARD était immatriculée 1999 HR 56. C’était tout ce qu’il avait pu retenir avec le bras levé par LE BORGNE au moment où sa voiture démarra. Cette immatriculation dans le département du MORBIHAN allait peut-être donner un repère, une nouvelle piste. Après des recherches sur le fichier, il trouva que la voiture ne correspondait pas à la marque de celle enregistrée au fichier national des immatriculations. La voiture était un véhicule utilitaire et la série de chiffre correspondait à un marchand ambulant de glaces établi à GUIDEL. Rien à voir avec l’affaire.




De toute évidence, LE BORGNE avait maquillé l’immatriculation de sa voiture, sans doute pour mieux réussir son trafic d’alcool en toute discrétion.

Pichard se trouvait à présent au fin fond de sa déprime, cloisonné entres quelques idées noires et des envies de se coller un pruneau au chaud contre la tempe quand il reçu un coup de fil en provenance du poulailler….

Ses collègues lui indiquaient que Nelly Grandjean souhaitait le voir dans les plus brefs délais, Pichard sauta dans sa voiture et laissa derrière lui le pont Amos…

Arrivé au commissariat, il trouva la Grandjean recroquevillée dans un coin, le visage pâle de celle qui à présent se trouvait dépassée par les évènements… Pichard ne laissa pas passer l’occasion…

- Madame Grandjean, je crois qu’il faut qu’on parle !
- Si vous le souhaitez Pichard mais alors cela se passera chez moi et seulement tous les deux…. C’est sans appel…

Ce n’était évidemment pas dans les règles mais Pichard savait par expérience qu’il tenait là une occasion à ne pas laisser passer…

- OK Grandjean mais je laisserai toute une escouade en planton au bas de chez vous si d’aventure vous deviez me jouer un mauvais tour…….

Pichard laissa passer un long silence…..

- Si d’aventure vous deviez me jouer un mauvais tour, je tiens à vous prévenir que je changerai de mélodie si vous voyez ce que je veux dire….

Une heure plus tard ils étaient chez Nelly Grandjean au parc du Saurupt…



XIV


Une fois le dispositif installé, Pichard eut la certitude que la maison de Grandjean était cadenassée comme on disait dans le jargon… Il s’assît sur un grand canapé en cuir qui se trouvait dans le salon….
Nelly Grandjean visiblement angoissée malgré le fait qu’elle se trouvait chez elle s’installa devant un chevalet où trônait une toile dont Pichard se dit qu’il s’agissait là du type de peinture qu’il n’aurait même pas souhaité chez son pire ennemi…
Une fois que Grandjean eu un pinceau dans les mains, Pichard sentit qu’elle se mettait à se décontracter…. Ce fut presque imperceptible mais Pichard se dit à ce moment là que l’interrogatoire pouvait commencer… D’abord laisser le suspect se mettre à l’aise puis le vider comme une truite…


- Je vous écoute Nelly…
- D’abord Pichard je tenais à vous dire que malgré nos positions respectives je vous fais confiance… Vous savez je connais Arthur Feranice depuis que je suis une gamine… Nous ne nous sommes jamais quittés… Arthur est originaire de Lombardie et est arrivé avec ses parents et grands parents avant guerre en 1937… Vous savez comme moi que les italiens n’étaient pas très bien accueillis et ce fut difficile pour le petit garçon qu’était Arthur à l’époque… Il subissait tous les quolibets imaginables et nous sommes très vite devenus camarades…
En 1952 il fut envoyé en Indochine où vous n’êtes pas sans savoir qu’il rencontra là-bas Guaino, Balurtin et Blondin…. Ce que vous ne savez pas par contre c’est qu’il y avait un cinquième larron… un cinquième qui n’apparaît sur aucune photo… un cinquième qui a lui aussi largement trempé dans le trafic d’alcool voir même, d’après ce que m’en a toujours dit Arthur, a chapeauté le tout…
Je ne sais rien de cet homme là si ce n’est qu’il est encore vivant et qu’il semble avoir toujours eu une assise redoutable sur ses autres camarades…
C’est lui qui a ordonné à Guaino de foutre le feu à son hangar…
Je vous dis tout cela Pichard parce que j’ai peur… J’ai peur pour Arthur car il fait une confiance aveugle en cet homme… Je ne sais pas si vous croyez au sixième sens féminin mais pour moi cet homme s’apparente à la faucheuse…

Pichard ne croyait absolument pas au foutu sixième sens féminin mais par contre ce qu’il croyait c’est que Grandjean était en train d’accoucher d’éléments de la plus haute importance…

- Madame Grandjean savez vous où se trouve Arthur Féranice ?
- Oui…

Pichard se pencha vers Nelly Grandjean et de la voix la plus basse possible lui dit :

- Je vous écoute…

-« Ici ! »

PICHARD se retourna et tomba nez à nez avec FERANICE.
« Je suis chez Nelly GRANDJEAN depuis le meurtre. Je ne voulais pas être arrêté alors que ce n’est pas moi. »

PICHARD se dit que décidemment il était en dessous de tout, il avait oublié de faire perquisitionner la maison de Nelly GRANDJEAN avant de l’embarquer en garde à vue. Il comprit pourquoi elle avait voulu l’emmener chez elle. Cette brusque rencontre provoquée par le suspect, le désorienta. Il ne s’attendait pas à voir de si près et si vite FERANICE – LE BORGNE. L’inspecteur ne savait pas s’il devait l’arrêter pour l’emmener au commissariat, ou simplement entamer une discussion avec lui afin d’en savoir plus tout de suite. Il opta pour la seconde solution.

« - Pourquoi voulez-vous me rencontrer maintenant ? »
« - Parce que j’en ai marre de jouer à cache à cache à mon âge. J’ai trop vécu dans la clandestinité pour continuer en étant soupçonné d’un meurtre. »
« - Etes-vous sûr de pouvoir me convaincre que ce n’est pas vous l’assassin de BLONDIN ? »
« - Non, je ne suis pas sûr de vous convaincre, mais je suis sûr de ne pas vouloir que Nelly ait des ennuis, et je ne vis plus, planqué, terré, comme pendant la guerre d’Indochine. A DIEN BIEN PHU, on est resté là, terré dans cette cuvette comme des cons, passif sous les obus avant de se faire capturer, je ne veux plus revivre ça. »
« - Mais alors, qui a tué BLONDIN ? »
« - Ce n’est pas moi, c’est un drôle de gars, que j’ai vu soudain débouler sur le pont. Il portait un grand sac sur le dos, il en sorti un flingue et a tiré. Moi, j’ai tellement été saisi, que je n’ai pas réagi. »
« - Vous étiez loin ? »
« J’étais un cent mètres peut-être. Après avoir tiré, le gars s’est mis à fouiller BLONDIN. Je ne sais pas ce qu’il a pris, mais cela semblait important pour lui. »
« - Ensuite ? »
« - Ensuite, il l’a attaché avec un câble, et l’a balancé du pont. »
« - Et vous qu’avez-vous fait à ce moment-là ? »
« - J’étais effrayé, putain, c’était BLONDIN, on avait évité ensemble les balles et les obus en 1954, et là, il se faisait dessouder par ce mec. » FERANICE se tut. Il était immobile, le regard dans le vide, comme s’il revivait la scène du meurtre.

PICHARD avait du mal à croire l’intervention extérieure de cet inconnu.
« -Et ce cinquième complice en Indochine est toujours ici, c’est qui, où est-il ? »
« René, il n’a rien à voir avec ce meurtre. Nelly n’a jamais pu le piffrer. Mais je sais que ce n’est pas lui. On s’est engueulé à propos de notre commerce d’alcool de mirabelles, moi, je voulais arrêter tout, me retirer peinard. GUAINO et René ne voulaient pas, ils voulaient encore continuer. C’est pour ça qu’on s’est disputé.
« Qui a mis le feu au hangar ?
« - Je ne sais pas, Nelly ne le sait pas non plus, elle raconte des histoires. »

PICHARD ne voulait pas que FERANICE lui glisse à nouveau entre les doigts. Il lui mit les menottes et l’emmena au commissariat.



XV

PICHARD avait retrouvé le moral. Il tenait enfin son suspect. L’enquête allait aboutir, la piste qu’il suivait était la bonne. Avant d’entamer la garde à vue de FERANICE, il demanda la perquisition de toute la maison de Nelly GRANDJEAN, des preuves seront sans doute découvertes. Il réclama aussi l’examen des comptes bancaires de Nelly GRANDJEAN et de FERANICE. Nelly GRANDJEAN était mise sous contrôle judiciaire. C’est avec une certaine satisfaction qu’il entra dans la pièce réservée aux interrogatoires des suspects.

FERANICE était très calme. Comme s’il s’attendait à cette garde à vue. Cela conforta l’inspecteur qu’il tenait le bon suspect.

« -Vos nom, prénom et qualité ? »
« - FERANICE Arthur, retraité. »

« De quoi vivez-vous ces dernières années ?
« - Je revendais de l’alcool au marché noir. Mais j’ai arrêté il y a quelques semaines, après l’incendie du hangar de GUAINO. »

« Où étiez-vous le soir où BLONDIN était assassiné ? ».
« J’étais non loin du lieu où il a été tué, j’avais rendez-vous avec lui. Mais ce n’est pas moi qui l’ai tué ! »

Les questions s’enchaînaient pendant de longues heures. FERANICE semblait fatigué. PICHARD, lui était en pleine forme. Il continua, sentant que l’intéressé allait craquer à un moment ou à un autre. Rien à faire, FERANICE maintenait sa version. Excédé, PICHARD le mit en cellule, lui promettant de continuer l’interrogatoire dès le lendemain matin.

Très tôt le lendemain matin, PICHARD sortit FERANICE du sommeil, qu’il avait eu bien du mal à trouver dans le froid de sa cellule. Mal rasé, les traits tirés, décoiffé, il avait pris dix ans en une nuit. FERANICE pensa à Nelly, il en avait marre. Sa vie défila dans sa tête.

Les questions continuèrent des heures durant.
FERANICE se mit à pleurer. Il tremblait, soupirait, transpirait.
Un long silence.
« C’est moi qui ai tué BLONDIN, après notre dispute sur la fin de notre trafic, BLONDIN voulait conserver une part bien trop importante. Il m’a pris pour un con ! »

PICHARD jubilait. Il lui fit signer les procès-verbaux de la garde à vue, y compris ceux comportant ses aveux. FERANICE ne relit même pas, pressé d’en finir, la tête dans le vide.
PICHARD préparait déjà la présentation de FERANICE au parquet.

Un appel de la gendarmerie le dérangea dans cette dernière formalité administrative.
« - Inspecteur, c’est l’adjudant-chef RICARDO à l’appareil, chef du PSIG (Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie). Cette nuit, une patrouille a arrêté un étrange individu sur le pont où a été retrouvé BLONDIN, il portait sur lui un pistolet 9 millimètres et plusieurs papiers d’identité. La perquisition faite chez lui tôt ce matin a permis de découvrir les papiers d’identité de BLONDIN et une photo de lui, prise quelques minutes avant sa mort. Les exifs de la photo indiquent que c’est la dernière photo faite de la victime avant sa mort. Nous pensons, qu’il s’agit d’un photographe totalement dérangé qui prenait en photo ses victimes croisées au hasard peu de temps avant de les tuer. »











PICHARD resta muet un long moment au bout du téléphone. Il se tourna vers FERANICE, le visage figé et le regard dans le vide.

FERANICE était innocent.

A mon père



Sans vouloir jouer les balances, ont plus ou moins trempé dans cette affaire  : PSIG, Xavshot, Bibiweb, Porteplume, Maltese, Bwiti, Didi, Gilou530....
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